pénombre

le rêveur a raison de goûter la pénombre 

certaines fleurs approuvent ce penchant

où dans sa solitude on refuse la déchirure

qui vient  de l’autre et de sa voix claire 

alors que le sombre silence  – à condition de l’affronter – 

a toutes les vertus de l’ombre hospitalière

ainsi le promeneur passant sous les hêtraies fraîches

ralentit le pas

il n’est plus pressé comme il le croyait

il écoute les flèches du soleil

qui se perchent aux cimes 

et percent sans dommage les ramures serrées 

douceur de la lumière tiède

dont le marcheur tout heureux fait son profit

mais c’est la même joie aux intérieurs clos

où l’on replie les contrevents 

pour écrire sur le blanc pacifié

un calme enveloppe alors

les épaules et les jambes 

circulation tranquille mais vibrante 

du corps enfin bercé de soi 

yeux mi-clos les vocables gravent 

leur chemin arraché au chaos 

des jours bousculés 

où la prose brouillonne encombrait 

le rêve avance alors grandi des obstacles

purifié des scories grinçantes des heures creuses 

et remplit de sa griserie tamisée 

la page miroir où le poète s’éjouit de chanter

les contrastes plaintifs

le chahut de l’avril bipolaire

nous voit hésitant entre lèvres closes

et rires soulagés

traînes d’horizons chargés de gris froids 

puis soudain clartés rageuses 

où tout l’univers s’illumine de ses grâces 

ainsi l’hiver traîne-t-il ses restes de gel 

entre deux éblouissements

aller dans la forêt

pour l’ermite curieux 

qui va défroissant ses pas ses poumons 

revient à affronter les orages frêles 

colères de l’hiver qui ne cède au pays 

que du bout des nuages

ce ne sont tout compte fait 

qu’enfants qui trépignent

alors je remise pulls et parkas

vieilles peaux qui s’attardaient dans l’entrée 

et qui vont s’endormir aux cintres enclos

tandis qu’à ras de terre 

puis au niveau des yeux

le peintre avril pose ses touches musiciennes

laisse monter des éclats de douceur 

tapis épatant d’uniformité variée 

où les humeurs chaudes et froides 

se chevauchent 

éphémères mélancoliques

qui s’allument aux prairies de nos régions

questions

les pétales accueillent la pluie en toute fragilité

bien qu’ils soient fils du soleil

ils changent de teinte

s’exaltent d’être bénis 

la peau qu’ils miment en corolle appelle ma main

si bien que le doigt qui la touche

est tout habité de moi et de pluie 

j’ose toucher une seconde fois 

au risque de tout briser

un frisson encore 

puis plus rien 

je songe qu’on a raison pour l’amour 

le bouquet s’en vient figurer 

les peaux qui se frôlent 

qui s’effleurent 

  • oui qui s’effleurent bien sûr – 

levant les yeux j’embrasse prairies et vallons

et l’inconcevable tapis de senteurs me chahute

on ne sait pas pourquoi cet éveil ce surgissement 

après l’atone anarchie des friches d’hiver

les lèvres me palpitent 

les prés semblent une réponse sans question

les couleurs se nuancent au gré des nuages

et ma main s’attarde

sur la balustrade du château des songes

où j’invite d’un geste  

le monde à pénétrer en moi

habitué que je suis 

à écrire seul en mon petit pays

semé de fleurs

et de questions longuement polies

lumières

pour que montent les gouttes de l’or pur des colzas

(Vermeer en nos provinces)

pour que les graves magnolias s’effondrent en fruits de ciel brisé

il suffit d’un seul éclat

lumière chaude inattendue d’avril

quand le navire des jours quitte le quai gris 

j’avoue que ce tangage neuf 

ce roulis surprise 

ne me rassure pas trop  

ça danse sous la peau sous les pas

le sang force vers le détroit de l’été 

alors que les hirondelles 

qui sous leurs ailes doivent ramener la lumière de l’autre monde

se tiennent encore en retrait de notre avril

traînant quelque part au-delà des pyrénées 

les amours nouvelles sont pourtant déjà là

on le voit bien aux étreintes du coin des rues 

on est loin déjà des mois gravis en grisaille

sans parler des buissons et gazons de nos jardins

qui s’enguirlandent de couleurs franches 

certes je devine les écueils de juillet

mais il me tarde de sortir du port d’attache

afin que nos corps s’entraînent encore 

sous le ciel de braise

à s’ébattre au large

pour affronter les lointains inconnus

joies sereines du tourisme des jours

où l’on se sent dépris de soi

saisis par la reprise enfin du voyage lumineux

roseaux du lac

croisant la brise des roseaux

je me prends à penser 

que le sifflet du vent 

capté au plus apaisé du lac 

a ses gammes balancées

élancements de la saison

approuvés par les ridules des eaux

où couvent les colverts

c’est le signal d’un nouvel amour

germé sous les pas alertes

de chevreuils tout proches 

c’est alors que perdu dans la forêt qui abrite

les voiliers lointains

la peur soudain me prend

du minuscule destin soufflé 

puis presque hélas joué

encore un printemps

mais des foulques s’échappent des berges

bonheur d’un élan courage

cette joie d’être debout 

face à mon ombre reflétée

sur les flots

où des carpes veillent à nos destins 

elles s’agitent puis baillent me voyant 

harmonie apaisante des bêtes

qui fourvoie cette mélancolie 

qui allait me gâcher 

ce début de saison

face à la splendeur 

de l’émail du lac de l’Ailette

aux mille reflets

l’unique bienheureuse 

c’est la saison imperceptible

elle hésite pointe des pieds

des grondements de fin hiver

aux trilles des sifflets d’avril

clavecin des oiseaux

annonçant la fin du froid filou

des éclats se font différents

tout est vitrail rieur

feuilles neuves

vert qui ne reviendra plus

au travers duquel on lit

sa jeunesse perlée

le regard de mars mord sur la nuit

l’avance fait le pas souple

et vaste par l’épine dorsale

il ne cesse de dire oui oui oui

j’entends ta voix qui chante

à pleines cordes aimées

un affolement couve  

et si c’était partie remise

mais non cette seule saison 

sourit comme une récompense

les autres sont pur déclin

j’extrais mon corps des couvertures

fais glisser les rideaux 

la chaleur m’invite au café 

dans le tambour des oiseaux

devenu confusion colorée 

en pleine lumière du jour

des cris sonnent le nouvel allant

le jardin confus se hérisse déchiré

l’accueil des rires s’élargit encore

rappelle toi les hivers mortels

retrouvons la cadence des oreillers

l’aventure des creux et bosses

du drap froissé

et des amours oubliées

Avril ou l’enfant qu’on fut. 

C’est le printemps, le lever du jour, les commencements. Nous avons reçu des sons à foison, nous n’entendions rien à cette musique verbale. Puis, peu à peu, le brouillard s’est levé;  nous est restée  cette bienheureuse nostalgie où nous avions l’amour et les sons dans le même temps; trier, ce fut tout l’effort de l’enfance : renoncer au toucher, comprendre, passer par les paroles, toutes choses complexes, ardues, parfois féroces (on entrait en solitude).   

On associe l’amour et l’enfance et l’on voit bien que c’est une convention; le vert paradis n’est souvent pas si rose. L’enfance est ainsi cet apprentissage, ce tissage de sonorités vertes comme l’avril, toujours interrogées, toujours démêlées, toujours recommencées. L’en-fant est un négatif; c’est celui qui n’est pas doté de parole.

L’avril est le temps des effluves, des floraisons, d’une tiédeur nouvelle. Reste au long de l’année une manière de petit froid, comme l’ombre des paroles incomprises au creux de la première enfance. On sent qu’il faut chanter et rechanter, puisque petit d’homme nous n’avions que les sons, cet obscur lumineusement attirant. Les voix flottaient, aimantes peut-être, mais peu claires : on les retrouve à l’aube, figurées par la brume de printemps qui prépare la montée du soleil.

Je n’ai pas encore dit le fond du propos. 

Le mot qui s’impose dans cette confusion douce, dans cette ombre précédant la lumière, c’est le mot de poésie. Le poème est la trace rêvée de cette enfance où le langage nous échappa longtemps. Tout poème est un baume qui apaise les blessures d’incompréhension que nous avons subies. Cette impuissance qui nous frappa, la voilà révélée, traduite enfin ; le poème est un secret qu’on lève, un pouvoir qui nous est octroyé, où la musique et les mots se caressent en prenant mille précautions que l’on appelle des vers. Le blanc qui est à droite permet au lecteur d’y déposer sa propre enfance. 

Le poète reste ce modeste d’importance. 

soleils

le long éclat du soleil finissant

est un jumeau d’octobre

enfant du globe

alerte mélancolique 

de nos vies 

de nos petites vies 

glissées ainsi dans la suite des êtres

oh mes amis j’ai été vous 

comme vous 

deux bras deux jambes

souriant 

je suis tellement heureux d’avoir été là 

dansant écrivant écrivant écrivant

rarement la peur de vivre au contraire 

l’audace joyeuse des flots d’océan à écrire

et les chants terribles  sur la joie des secondes 

j’ai vos allures en moi tous 

j’ai vos parages heureux de juillet 

et les bonjours souvenez vous que l’on s’échangeait

aux bancs aux avenues

les hasards 

toujours au hasard 

les dés la chance 

on se croisait peu 

le tricot du quotidien 

avait des allures foutraques

on ne savait jamais 

en fait je sais 

on savait 

je me demande si les soleils auront toujours 

cette aura  que je leur prête 

il me semble en plein printemps 

que cette affaire décline 

je vous serre la main 

et l’on verra demain 

j’eusse aimé aimer encore davantage 

les halliers forêts et bosquets croisés là 

et les visages au creux des paumes

triangles adorables

l’attente d’avril

les arbres en frissonnent toujours

ce retour de novembre en avril

la pluie morne coléreuse  

affole le revers de mon col

la glace me glisse au dos

là où l’épine dorsale frémit

et le vent enragé me fouette aux  joues

l’évidence du pas bienheureux

que j’attendais sûr de la saison

et ouvert à la brise à la voix claire

se fait souffle de mort

brise présage de mes pas en misère

c’est affaire de patience

l’attente murmure une voix

consolante insistante

(c’est la déesse à Ulysse)

attends encore dit-elle

le voyage des jours ne fourvoie

que ceux qui protestent 

aime ces moments qui ménagent

des horizons intérieurs où dort

tranquille la joie d’être en vie

et seulement cette pensée

qu’on oublie à chaque aube

et qui revient sur l’oreiller

comme un refrain chaque soir

le malfaisant

les sons doux de sa flûte 

lui valurent d’emblée quelques pierres 

puis l’approche des jeunes femmes et des oiseaux aidant 

la douceur se posa sur la ville 

traîne bleue trop belle 

qui endormit l’énergie des commerces

l’artiste s’installa en toute étrangeté 

à la saison des jonquilles 

sous les porches de la cité 

les enfants dansèrent alors sans le souci 

ni de l’école ni des barytons paternels

il y eut certes des édiles sérieux 

insensibles aux airs et aux envols des oiseaux 

qui rêvèrent de son départ

mais sa musique 

pluie d’élégance magie de sa tendresse 

toucha la cité entière 

un chuchotis s’installa par la province 

c’était une drogue disait-on 

qui voilait les télés 

éteignait les vidéos 

et donnait une envie de vivre 

inaccoutumée

le printemps allumant les halliers

douceur de la flûte en prime

sourires et politesses furent de saison 

l’afflux des habitants 

attirés par la tendresse des sons 

fit la joie des citadins 

les rues grouillaient d’élégants

il convenait d’être beau 

tant la musique était douce

les robes chamarrées

valsaient dans les venelles 

la cité gothique en fut éberluée 

biches et ragondins pleurèrent 

le matin où la police l’arrêta

on décida de l’envoyer 

à l’île du diable où l’artiste 

n’aurait plus rien ni personne à séduire

et la violence revint à l’ordre du jour 

on ralluma les télés en soupirant 

des années plus ta rd

il y eut une éclipse de soleil 

afin que tout le monde sache 

que le malfaisant avait 

doucement passé la flûte à gauche

carnet perdu

j’y avais noté le voyage à Paris 

la butte rose et l’ascension douce 

puis terrible au souffle

quantité de détails visages tissus 

et j’ai tout perdu 

alors soulevant en panique la poussière 

du bureau ensoleillé 

ma mémoire s’est embrouillée

il m’est resté  

l’océan des pas

les nombreuses marches 

touches de clavecin allegro

paroles poèmes murmurés

quelques rires intérieurs

sont revenus 

puis la pluie

et le silence comme si l’eau du ciel 

lavait la déveine 

d’avoir perdu mes notes

instrument désaccordé

je tapote machinal sur mon coeur

petites touches sèches

et voilà le carnet qui revient

poche intérieure 

il est là

mignonnement camouflé

dans les replis du tissu

ce jour n’a pas été vécu en vain 

les traces sont là sous mes doigts

pourtant 

ne rêvant plus

j’ouvre le carnet

pas un mot pas un mot

me regardant au miroir 

je souris de cette liberté qui s’ouvre

je vais enfin pouvoir écrire 

mémoire

ce vertige des printemps

te souvient-il des essaims de primevères

et de ton bras qui s’enroule aux épaules

il y avait des appels aux vallons en reverdie

des battements accélérés aux poignets

et la peur de déplaire au si fin des sourires

lèvres furtives puis pressées bien en face

le parfum des violettes montant des rosées

la respiration me faut d’y songer

pourquoi les rires ont-ils décru

souviens-toi j’avais toujours un biscuit

brisé sous papier transparent

tu tournais tes yeux verts

lèvres en avant silence

on écoutait le dialogue du vent et des coqs

nos peurs d’aimer évanouies nous attendions

debout que l’un de nous se pose

au pied du pommier allégé de ses fleurs

les herbes ont repoussé

les traces de nos corps ont coulé dans les octobres

j’ai encore semble-t-il l’impression de tes bagues

sur mes phalanges crispées

au loin des tronçonneuses enragent encore contre des arbres stoïques

on dirait que le temps des caresses a passé

mais ces oiseaux d’avril enfuis dans le ciel gris

t’en souvient-il

magie

lorsqu’au bois j’avance dans l’avril

l’adolescent me revient entre les arbres

mille peines et pleine respiration

mes poumons scandent les pas

mes lèvres imitent les nouveaux oiseaux

et les amours difficiles et les aveux jamais lâchés

je me dis dans l’ombre neuve du bois joli

que ça palpite à jamais

mon pas sur les feuilles ridées de l’an passé

rythment le bel inexorable

la musique fait craquer les bémols du souvenir

et le présent et le présent

aspire comme ça vient

la joie est là entre nostalgie et futur

elle est à toi cette saison

une voix grave s’impose avec sourire

et chasse aux papillons

la mienne la tienne si charitable

ah que revienne toujours ce printemps d’éternelles joyeusetés

peut-être pourrai-je éterniser aussi

cet instant qui se libère 

en enchaînant les voix qui voguent

nous allons nous aimer sur ce temps

parce qu’il le faut

ce n’est pas si tragique

c’est pour le plaisir d’être

en ce moment magique

de longs frémissements

visages

tous ces petits visages

qui se penchent la nuit sur mon visage

n’allons pas croire qu’ils imitent la lune

ils ont toujours été là 

fées autour du berceau 

voix autour du tombeau

ces visages ont la rosée d’avril pour teint

les pleurs de mai pour seul matin 

ils sourient ne savent rien faire d’autre

cachés sous ma mémoire

ils chuchotent des beautés bémolisées

pour relayer la fuite du temps 

pour enchanter l’instant présent

ces petits visages

angelots en pleurs souvent 

viennent de loin 

ancêtres jamais disparus 

ils aiment ils aiment ils aiment 

roses de façade (joues bercées)

jonquilles qu’on enfonce pour soi 

(coiffures folles)

leur présence est je le jure immortelle 

courriers d’autrefois 

ils se dépêchent en foules parfois 

pour alimenter les corps heureux

le mien par exemple

et les chants surtout les chants

ceux qui comme pluies d’été

crèvent sur les jardins flétris

par le soleil qui abuse

de se croire seule joie autorisée

alors que la vie

mon dieu

galets

fragile roulis

des inusables galets

j’envie à l’intérieur de vous 

le roc dissimulé

la pierre qui roule dans la mousse du temps 

le ru vous bouscule 

sans même vous griffer

juste l’usure 

je veux chanter la bonne mine de vos joues 

le blême ivoire des arrondis parfaits 

autant de visages rieurs

qui clignent au ruisseau en se cognant 

la joie de dévaler en croulant

gravier de vos vies avancées

vous pourriez faire un effort amis 

pour une once d’éternité

que vous glisseriez sous ma peau 

os surnuméraires

histoire de perdurer

jusqu’à l’intérieur du rire où je me protège encore

jusqu’au fond de ma poche 

je me vois bien dans la cascade des jours

arborant à mes joues votre fluide rigueur 

vous êtes beaux 

et quand dans l’allée je vous écrase

je me sens plus fragile que vos cris 

alors dans la nuit je vous écoute

si vous saviez 

au bord du sommeil vos côtoiements 

chuchotent mille espérances 

oui chaque caillou a sa note

votre petite musique de nuit me déroule ses gammes

mais je vous prie de garder souvenir de mes pas

car mes mélodies aussi dorment là 

jusqu’au bout de la nuit