Funambule d’avril je marche sans un bruit sur le fil dont je ne dois pas me découvrir. Derrière le dicton, couve en effet une menace, comme si le trop plein du printemps, par son exubérance même, mettait en danger l’équilibre dont nos corps sont tissés : trop et trop peu sont les extrémités de la corde sur laquelle nous allons.
Or, la nature fait la folle, aux champs et au lit; oreillers et horizons se creusent, on y plonge le visage, le regard est décidément trop sollicité. La longue caresse du jaune colza avance vers nos pas, à l’imitation de nos corps rondement malmenés sur la rivière des draps. Vive est la tendresse parfumée qu’au froid nous avions oubliée. Et pourtant les enfants s’y font : les dames font comme ci, les messieurs font comme ça, on se croirait partout en Avignon.
Mon fil d’avril passe ainsi par un pont, dessus le temps, le meilleur temps, puisqu’il est le premier, primus tempus.
J’aimerais comme les merles ameuter mille musiques pour arrêter le temps sur ce printemps et faire durer la joie poudrée des routes secondaires qui se font primordiales; nos horizons et nos désirs étant finis, les barrières des champs et nos désirs paraissent forcément limités.
Reste le flot des jours : chacun d’eux croît c’est vrai, mais chaque jour bute sur la nuit, à la fin, quand le ciel semble un sang répandu dans le jaune et le vert. J’aime alors, pensif, découper du regard avec les branches des aulnes des figures de rêve qui me confient leurs inquiétudes.
Je proteste, j’en appelle à la rivière qui sourit depuis des millénaires. Les berges tendent à s’aligner; le flot mordant les méandres, c’est un fil qui est visé aussi bien par le mois que par les eaux. Je me penche, puis, ventre à terre, j’humecte mon front, rêveur affalé contre la rive de l’oise douce. La mer l’appelle, elle prend son temps. N’étant pas éternel comme elle, aucun estuaire ni aucun horizon ne viendront prolonger ma joie des jours. Demeure seulement le souvenir de mon reflet que le courant porte, marée montante, par les plis du mascaret jusqu’à la source qui chuchote, très loin derrière moi, que l’on est en pleine renaissance.